Le bilan de l'intelligence - Paul Valéry 14.00 / 20

Le Bilan de l’intelligence est le texte retranscrit d’une conférence donnée par Paul Valéry le 16 janvier 1935 à l’université des Annales. Valéry aborde les grands changements ayant eu lieu dans le demi-siècle précédant sa conférence. La révolution industrielle a bouleversé les manières de vivre et, par extension, celles de penser. Valéry évoque ainsi l’intelligence de l’homme au travers notamment du besoin d’immédiateté, de la vitesse de diffusion et de la multitude d’informations diverses engendrées par ces changements historiques. À l’ère de la révolution numérique et de l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, ce texte, datant pourtant de 1935, paraît incroyablement actuel.

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Partie 1 : Extraits choisis des principaux thèmes

  • L'impact dû aux changements techniques de l'époque (la vitesse, la perte de sensibilité...)
  • « L’interruption, l’incohérence, la surprise sont des conditions ordinaires de notre vie. Elles sont même devenues de véritables besoins chez beaucoup d’individus dont l’esprit ne se nourrit plus, en quelque sorte, que de variations brusques et d’excitations toujours renouvelées. Les mots « sensationnel », « impressionnant », qu’on emploie couramment aujourd’hui, sont de ces mots qui peignent une époque. Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l’ennui. »

    « Nous avons, en effet, en quelques dizaines d’années, bouleversé et créé tant de choses aux dépens du passé ; en le réfutant, en le désorganisant, en réorganisant les idées, les méthodes, les institutions qu’il nous avait léguées, que le présent nous apparaît un état sans précédent et sans exemple. »

    « En 1800 (je crois), la découverte du courant électrique, par l’invention admirable de la pile, ouvre cette ère des faits nouveaux qui vont changer la face du monde. »

    « Ainsi l’action de l’esprit, créant furieusement, et comme dans l’emportement le plus aveugle, des moyens matériels de grande puissance, a engendré d’énormes événements, d’échelle mondiale, et ces modifications du monde humain se sont imposées sans ordre, sans plan préconçu et, surtout, sans égard à la nature vivante, à sa lenteur d’adaptation et d’évolution, à ses limites originelles. »

    « Donc, toute la question que je posais revient à celle-ci : si l’esprit humain pourra surmonter ce que l’esprit humain a fait ? si l’intellect humain peut sauver d’abord le monde, et ensuite soi-même ? C’est donc une sorte d’examen de la valeur actuelle de l’esprit et de sa prochaine valeur, ou de sa valeur probable, qui fait l’objet du problème que je me pose, — et que je ne résoudrai pas. »

    « Si la sensibilité de l’homme moderne se trouve fortement compromise par les conditions actuelles de sa vie, et si l’avenir semble promettre à cette sensibilité un traitement de plus en plus sévère, nous serons en droit de penser que l’intelligence souffrira profondément de l’altération de la sensibilité. »

    « Nous voilà pris sur le fait, nous sommes tous empoisonnés. Je suis donc fondé à dire qu’il existe pour nous une sorte d’intoxication par l’énergie, comme il y a une intoxication par la hâte, et une autre par la dimension. Les enfants trouvent qu’un navire n’est jamais assez gros, une voiture ou un avion ne va jamais assez vite, et l’idée de la supériorité absolue de la grandeur quantitative, idée dont la naïveté et la grossièreté sont évidentes (je l’espère), est l’une des caractéristiques de l’espèce humaine moderne. »


  • L'éducation
  • « Tout l’avenir de l’intelligence dépend de l’éducation, ou plutôt des enseignements de tout genre que reçoivent les esprits. *…+ L’école n’est pas seule à instruire les jeunes. Le milieu et l’époque ont sur eux autant et plus d’influence que les éducateurs. La rue, les propos, les spectacles, les fréquentations, l’air du temps, les modes qui se succèdent (et, par mode, je n’entends pas seulement celles du vêtement et des manières, mais celles qui s’observent dans le langage), agissent puissamment et constamment sur leur esprit. »

    « Je suis obligé de constater que notre enseignement participe de l’incertitude générale, du désordre de notre temps. Et même s’il reproduit exactement cet état chaotique, cet état de confusion, d’incohérence si remarquable, qu’il suffirait d’observer nos programmes et nos objectifs d’étude pour reconstituer l’état mental de notre époque et retrouver tous les traits de notre doute et de nos fluctuations sur toute valeur. »

    « Je sais que le problème est horriblement difficile. La quantité croissante des connaissances d’une part, le souci de conserver certaines qualités que nous considérons, à tort ou à raison, non seulement comme supérieures en soi, mais comme caractéristiques de la nation, se peuvent difficilement accorder. Mais si l’on considérait le sujet lui-même de l’éducation : l’enfant, dont il s’agit de faire un homme, et si l’on se demandait ce que l’on veut au juste que cet enfant devienne, il me semble que le problème serait singulièrement et heureusement transformé, et que tout programme, toute méthode d’enseignement, comparés point par point, à l’idée de cette transformation à obtenir et du sens dans lequel elle devrait s’opérer, seraient par là jugés. »

    « Plus le contrôle s’est exercé, s’est multiplié, plus les résultats ont été mauvais. *…+ D’ailleurs, si je me fonde sur la seule expérience et si je regarde les effets du contrôle en général, je constate que le contrôle, en toute matière, aboutit à vicier l’action, à la pervertir… »

    « J’estime, pour ma part, que mieux vaudrait rendre l’enseignement des langues mortes entièrement facultatif, sans épreuves obligatoires, et dresser seulement quelques élèves à les connaître assez solidement, plutôt que les contraindre en masse à absorber des parcelles inassimilables de langages qui n’ont jamais existé… » « Ce n’est pas ici le lieu de faire le procès complet de l’orthographe. L’absurdité de notre orthographe qui est, en vérité, une des fabrications les plus cocasses du monde, est bien connue. Elle est un recueil impérieux ou impératif d’une quantité d’erreurs d’étymologies artificiellement fixées par des décisions inexplicables. »


  • L'apprentissage
  • « Je distinguerai deux sortes de ces leçons accidentelles de tous les instants : les unes, qui sont les bonnes, ou, du moins, qui pourraient l’être, ce sont les leçons de choses, ce sont les expériences qui nous sont imposées, ce sont les faits qui sont directement observés ou subis par nous-mêmes. Plus cette observation est directe, plus nous percevons directement les choses, ou les événements, ou les êtres, sans traduire aussitôt nos impressions en clichés, en formules toutes faites, et plus ces perceptions ont de valeur. *…+ C’est ici que se manifeste le second genre de leçons dont je vous parlais. Ce sont celles qui ne nous sont pas données par notre expérience personnelle directe, mais que nous tenons de nos lectures ou de la bouche d’autrui. Vous le savez, mais vous ne l’avez peut-être pas assez médité, à quel point l’ère moderne est parlante. Nos villes sont couvertes de gigantesques écritures. La nuit même est peuplée de mots de feu. Dès le matin, des feuilles imprimées innombrables sont aux mains des passants, des voyageurs dans les trains, et des paresseux dans leurs lits. »


  • le sport et le travail de l'esprit
  • « Enfin, tout sport sérieusement pratiqué exige des épreuves, des privations parfois sévères, une hygiène, une tension et une constance mesurables par les résultats, — en somme, une véritable morale de l’action qui tend à développer le type humain par un dressage fondé sur l’analyse de ses facultés et leur excitation raisonnée. On pourrait les caractériser par cette formule d’apparence paradoxale en disant qu’il consiste dans l’éducation réfléchie des réflexes. Mais l’esprit, tout esprit qu’il est, peut se traiter par des méthodes analogues. » « Tantôt nous rêvons, tantôt nous veillons ! voilà le fait grossièrement exprimé. Or, tous les progrès positifs, incontestables de la puissance humaine, sont dus à l’utilisation de ces deux modes d’existence psychique, avec accroissement de la conscience, c’est-à-dire : accroissement de l’action volontaire intérieure. » « Le sport intellectuel consiste donc dans le développement et le contrôle de nos actes intérieurs. Comme le virtuose du piano ou du violon arrive à accroître artificiellement, par études sur soi-même, la conscience de ses impulsions et à les posséder distinctement de manière à acquérir une liberté d’ordre supérieur, ainsi faudrait-il, dans l’ordre de l’intellect, acquérir un art de penser, se faire une sorte de psychologie dirigée… C’est la grâce que je vous souhaite. »
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