Le structuralisme.
Extrait de Claude LEVI-STRAUSS (1983) Le regard éloigné, Plon,
pp. 59-62.
- Le structuralisme
Le structuralisme en anthropologie se confond avec l’oeuvre de Lévi-Strauss. La méthode
structurale est empruntée à la linguistique, plus précisément à la phonologie1 pour la
rigueur de ses méthodes. Pour Lévi-Strauss, c’est la seule discipline qui soit parvenue à
« formuler des relations nécessaires » (autrement dit qui se donne pour vocation de
comprendre comment les choses s’articulent entres elles ). Comme en linguistique, il va
falloir délimiter les objets qu’on veut étudier et identifier le « plan de référence » :
L’activité inconsciente de l’esprit va organiser des phénomènes en ensembles significatifs
homogènes.
Lévi-Strauss fait le parallèle entre langue et culture : les faits étudiés vont être
interprétables comme des systèmes de signes. Les faits sociaux sont imprégnés de
significations : « Les hommes communiquent au moyen de symboles et de signes ; pour
l’anthropologie, qui est une conversation de l’homme avec l’homme, tout est symbole et signe
qui se pose comme intermédiaire entre deux sujets » (Lévi-Strauss). D’où la spécificité des
sociétés humaines : la dimension symbolique de la vie sociale.
Les premiers travaux de Lévi-Strauss sont consacrés aux systèmes de parenté. La logique des
systèmes de parenté (comme celle des systèmes linguistiques) est le produit d’opérations
mentales qui sont inconscientes. Derrière la diversité des cultures se cachent des règles
appliquées par toutes les cultures = les structures. Ce qu’inventent les hommes sont en fait
des productions de l’esprit humain qui sont inconscientes. On ne va non plus étudier les
phénomènes conscients, mais leur infrastructure inconsciente. La structure des systèmes
symboliques (système de parenté, etc.) renvoie à des aptitudes humaines universelles, liées
aux lois de l’activité inconsciente de l’esprit. Tout l’enjeu du structuralisme consiste à
dépasser l’apparence (diversité et relativité des cultures) pour aller vers l’essence (unité de
l’homme et universalité de l’esprit humain).
- Claude Lévi-Strauss.
Né à Bruxelles en 1908. Etudes à Paris. Licence de droit et agrégation de philosophie en
1931. Professeur de philosophie au lycée. Lévi-Strauss va effectuer des missions
ethnographiques dans le Mato Grosso (Brésil), et en Amazonie entre 1935 et 1938. Ce sera
son seul terrain. Il quitte la France en 1940 pour New-York pour être conseiller culturel
auprès de l’ambassade de France aux Etats-Unis jusqu’en 1948. Il rentre ensuite en France et
soutient sa thèse « les structures élémentaires de la parenté ». En 1949 il est nommé
directeur à l’Ecole pratique des Hautes–Etudes en Sciences Sociales de la chaire des religions
comparées des peuples sans écriture. Il est professeur au Collège de France et tient la chaire
d’anthropologie sociale de 1959 jusqu’à sa retraite en 1982. Il dirige à partir de 1960 le
laboratoire d’anthropologie sociale qu’il a créé, jusqu’à sa retraite. Elu à l’académie
1 = branche de la linguistique qui s’attache à décrire les systèmes de phonèmes en terme de différence et de
ressemblance fonctionnelle. Phonème = son du langage.
française en 1973. Mythe vivant. Quelques titres : Tristes Tropiques (1958), Anthropologie
structurale (1962), La pensée sauvage (1964), Anthropologie structurale II (1975).
- Architecture du texte:
→ 1ère partie : §1 et 2 = Qu’est-ce que la culture ? (de quoi est-elle faite ? Quels sont les
rapports entre nature et culture ?).
→ 2ème partie : §3 et 4 : Les universaux de la culture.
→ 3ème partie : §5 et 6 = l’exemple des langues (diversité d’expressions mais obéissent à des
contraintes universelles).
→ 4ème partie : §7 et 8 = L’objet de l’ethnologie (découvrir les lois de la pensée et de l’activité
humaine).
- 1ère partie : Qu’est-ce que la culture ?
La culture est faite de règles de conduite dont la fonction échappe aux acteurs :
-résidus de traditions.
-règles acceptées ou modifiés.
Les règles inconscientes sont les plus nombreuses parce que la raison n’est pas la cause de
l’évolution culturelle, mais son résultat.
De là découle la volonté de mettre fin à l’opposition entre nature et culture. Il n’y a pas de
véritable limite entre nature et culture → dépasser l’opposition loi naturelle/règle culturelle,
hérédité naturelle/héritage culturel. Lévi-Strauss veut rompre avec l’idée d’un développement
de la nature vers la culture. Il s’agit de deux édifices différents dont l’un (la culture) est bâti
avec les décombres du premier. Il y a une reprise de certains éléments (communs à l’homme
et à l’animal) qui vont être réorganisés pour former la culture.
- 2ème partie : Les universaux de la culture.
Si la culture est le propre de l’homme, elle doit mettre en scène, au delà de la diversité de
ses expressions, le même contenu. La question qui se pose est la suivante : Est-ce qu’il y a
des traits communs à toutes les cultures ? Oui, ce sont les « invariants culturels » : religion,
mariage, ensevelissement des morts. Mais le constater ne suffit pas. Pourquoi y-a-t-il au sein
de ces invariants culturels autant de variations d’une culture à une autre ? Exemple : toutes les
sociétés ont le souci des morts, mais observent une diversité de pratiques qui sont parfois
contradictoires (cf. texte). Il ne suffit pas de constater qu’il y a des traits communs, mais il
faut chercher ce qui unit les hommes au delà de la diversité culturelle. La question que
Lévi-Strauss pose : Comment penser à la fois l’universel et le singulier ?
En fait les traits communs vont permettre de saisir les structures de l’esprit humain. Il faut
aller plus loin que la simple observation des cultures, pour s’interroger sur la condition
humaine. Qu’est-ce qui fait l’Homme ? Pour le découvrir, il faut dépasser les singularités
culturelles pour découvrir des « lois d’ordre » : les lois universelles qui régissent les
sociétés.
- 3ème partie : l’exemple des langues.
Il y a une diversité des langues du monde sur le plan du phonétisme et de la grammaire,
mais derrière cette diversité on retrouve des contraintes universelles. Diversité des
langues mais universalité des contraintes.
→ au niveau du phonétisme (voir texte)
→ au niveau de la grammaire (voir texte)
→ au niveau du vocabulaire (voir texte)
- 4ème partie : L’objet de l’ethnologie.
Lévi-Strauss revient sur ses travaux en anthropologie de la parenté dans lesquels il s’est
intéressé aux systèmes avec règle d’alliance préférentielle (aux règles du mariage). Il y a
une diversité de règles de mariage (parfois opposées). Mais derrière cette diversité, il y a
une contrainte universelle qui est l’échange de femme (au fondement de l’alliance entre les
groupes). Ex : La prohibition de l’inceste est universelle, mais les interdits ne concernent
jamais systématiquement les mêmes personnes. Pourquoi est-elle universelle ? Parce qu’il
s’agit moins d’un interdit que d’une obligation de prendre une femme en dehors du groupe.
Les différentes règles de mariage illustrent différentes façons d’échanger, mais un principe
de base qui est l’échange (Cf. essai sur le don de Mauss). L’échange constitue le principe
même de la vie en société, après il y a différentes façons de l’organiser. Donc une contrainte
universelle (l’échange de femme) mais chaque groupe instaure des « modalités variées
d’échanges de femmes ».
Métaphore du jeu de cartes
Il y a un jeu de cartes pour l’humanité. Les cartes sont réparties entre les sociétés. Chaque
société disposera donc de cartes qu’elle n’aura pas choisies. Elle va les jouer d’une certaine
façon, selon sa stratégie : « avec la même donne, des joueurs différents ne joueront pas la
même partie ». Autrement dit, avec les mêmes cartes = plusieurs modalités possibles de
jouer (selon la stratégie propre à chacun), mais on ne peut pas jouer non plus n’importe quelle
partie car il y a des contraintes communes (la règle du jeu).
Il existe un certain nombre de matériaux culturels et différentes structurations possibles
de ces matériaux. Ces structurations ne sont pas pour autant illimitées parce qu’elles
dépendent de ce que Lévi-Strauss appelle « les lois universelles qui régissent les activités
inconscientes de l’esprit » (les règles du jeu).
- Conclusion.
Lévi-Strauss introduit de nouvelles perspectives pour l’anthropologie : il ne s’agit plus de
dresser un catalogue des variations culturelles pour y introduire de l’ordre par la comparaison,
mais de contribuer à « une meilleure connaissance de la pensée objectivée et de ses
mécanismes ».
Quelques critiques :
→ Pour Georges Balandier, Lévi-Strauss délaisse le changement pour se focaliser uniquement
sur ce qui est stable. Or la dynamique n’est pas seulement du ressort de l’accidentel mais
concerne la société dans sa totalité (Cf. anthropologie dynamique, prochain texte).
→ Pour Clifford Geertz , Lévi-Strauss ne laisse pas la parole aux hommes, mais les intègre
dans de grandes théories.
Merci