L'Aleph de Jorge Luis Borges 20.00 / 20

L'écrivain argentin Jorge Luis Borges est né à Buenos Aires en 1899 et mort à Genève en 1986. Il passe une partie de sa jeunesse en Espagne où il s'engage dans un mouvement littéraire d'avant-garde.

Ses thématiques de prédilection (l'énigme, le labyrinthe, les paradoxes temporels, les savoirs complexes) sont nourries d'une grande érudition grâce à laquelle il mêle savamment la fiction et les éléments réels.

L'Aleph est un recueil d'une quinzaine de nouvelles à caractère fantastique. Mais plus que cela : comme l'a écrit Roger Caillois, Borges est l'inventeur du conte métaphysique.
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I. Résumé



L'Aleph est un recueil d'une quinzaine de nouvelles à caractère fantastique. Mais plus que cela : comme l'a écrit Roger Caillois, Borges est l'inventeur du conte métaphysique. La première nouvelle du recueil donne le ton : L'immortel est un soldat romain qui servit sous Dioclétien. Privé d'une vision, celle du visage du Dieu Mars, il se lance à la poursuite de la chimérique Cité des Immortels après avoir assisté à l'agonie d'un mystérieux cavalier venu d'Orient sans avoir trouvé le fleuve qui "purifie les hommes de la mort".

Ses aventures le conduisent jusqu'aux grottes des barbares Troglodytes, sous un soleil de plomb. Assoiffé, il boit l'eau fangeuse d'un ruisseau qui coule au bas du village barbare. Accompagné par un des Troglodytes, il poursuit sa quête et parvient au pied de la fameuse Cité, vertigineuse et inhospitalière. Lorsqu'il s'en éloigne, il rejoint le barbare dont il découvre avec stupeur qu'il est/fut Homère en personne.

Une théorie des identités immortelles attend le lecteur au détour des pages : si un temps infini est donné à chacun, tous pourront à leur tour devenir Homère. Le soldat réalise alors qu'il a lui-même bu l'eau d'éternité, au pied du village des Troglodytes immortels.

L'infini contenu dans l'Histoire est également mis en scène dans Les Théologiens : les combats que se livrent érudits chrétiens et hérétiques produisent une "cacophonie" dans laquelle il est difficile de s'orienter. Peu importe le contenu des débats, Borgès insiste sur l'aspect démultiplié des diatribes conduites par des Lucullus et des Cicérons "en nombre infini, qui disent exactement la même chose dans un nombre infini de mondes identiques".

Dans cet univers absurde, l'hérésie est cruellement punie par le feu. Mais le feu lui-même est infini, comme le crie Euphorbe tandis qu'il est soumis aux flammes : "Vous n'allumez pas un bûcher mais un labyrinthe de feu". En réalité, ceux qui disent tenir la bonne parole et les hérétiques se révèlent être les deux faces d'une même médaille.

La présentation pseudo-biographique de personnages de fiction est à nouveau l'occasion pour Borgès d'interroger le sens de l'existence humaine, comme celle de Tadeo Isidoro Cruz, dont l'histoire fut l'objet de multiples commentaires à partir desquels toute vérité du récit devient impossible. L'impossibilité biographique est une thématique essentielle à Borgès, elle permet de sonder l'abîme des destinées dans lesquelles tout à coup un seul moment donnerait à l'homme le sentiment de savoir qui il est : en particulier, l'autre face de celui qu'il croit étranger.

Les personnages sont déréalisés par un processus de mise en écho ou redoublement infini des événements qui leur arrivent, comme Emma Zunz, pour qui l'annonce de la mort de son père "continuerait de se produire éternellement". Infini est aussi le nombre de portes de la demeure d'Astérion, vide de meubles, mais dont "toutes les parties sont répétées plusieurs fois", un nombre infini de fois, qui en font une demeure-labyrinthe où il joue à être Thésée.

Les vies sont en proies aux effets labyrinthiques : écoutant sa prière, Dieu décale l'image de la mort de Pedro Damian et le laisse vivre comme une ombre. Mais, écrit Borges, déjà les Grecs savaient que nous sommes les ombres d'un rêve". Le décalage pendant l'agonie de Damian lui accorde une latitude temporelle pour rejouer sa mort et la rendre plus glorieuse, des dizaines d'années plus tard... Comme si la liberté ne pouvait être donnée à l'homme que sous le joug de sa propre mort.

Cet aspect est illustré par la confession du nazi de Deutsches Requiem avant son exécution : Borges mélange l'identité d'un nazi réel, Otto Friedriech (1897-1952), directeur du service de presse du Reich) avec un autre, fictif, né en 1908, nommé sous-directeur du camp de concentration de Tarnowitz en 1941. Ce dernier torture à mort un juif ashkénaze du nom de David Jérusalem pour enterrer avec cette mort une partie de lui-même, indissolublement liée au destin de l'Allemagne.

La mort, chez Borges, agit comme un révélateur. En quatrième page du Zahir il écrit : "Dans les veillées funèbres, le progrès de la corruption fait en sorte que le mort recouvre ses visages antérieurs". La mort, liée à la révélation, fait apparaître un des visages de Dieu. La problématique borgésienne réapparaît dans deux nouvelles saisissantes du même recueil : L'Ecriture du dieu et l'Aleph. Dans la première, Tzinacan, mage de la pyramide Qaholom, se meurt dans la prison où l'a jeté le cruel conquistador Pedro de Alvarado (qui lui, a réellement existé).

Tandis qu'il cherche dans sa mémoire la formule magique, l'écriture du dieu capable de le délivrer de son funeste destin, il meurt. Lorsqu'il la trouve enfin, à la suite d'une fulgurante vision cosmologique, la révélation accompagne sa propre disparition car, abîmé dans son agonie, devenu autre à lui-même, il ne sait plus qui il est.

Dans l'Aleph, un des protagonistes révèle à l'auteur du récit l'existence d'un lieu nommé l'Aleph : "où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l'univers vus de tous les angles". Or ce lieu ressemble à celui qu'entrevoit le mage aztèque avant de mourir dans son cachot...

II. Analyse



"L'irréalité est un attribut des enfers, attribut qui paraît mitiger les terreurs qu'ils inspirent et qui les aggrave peut-être", écrit Borges dans Emma Zunz. Cette irréalité ressentie par le lecteur est certainement le déclic du fantastique borgésien.

L'auteur des nouvelles fait comme s'il fouillait l'âme de ses protagonistes qui eux-mêmes ne savent pas très bien pourquoi ils accomplissent leur actions. Soumis au destin qui les fait ployer, ils semblent dirigés par une force extérieure douée de décision, alors qu'ils agissent fantômatiquement : "Comment rendre vraisemblable un acte auquel ne crut pas celui qui l'exécutait ?". La vision de l'Histoire humaine est aussi indécise que celle de l'histoire des personnages, les événements échappent à la raison, ils se situent dans une autre dimension : "Les événements graves sont hors du temps".

La description d'événements improbables se redouble dans l'interrogation sur le processus d'écrire lui-même : "Comme le philosophe, je pense que l'art d'écrire ne peut rien transmettre", dit Astérion. De plus, Borges tisse un labyrinthe de textes dont certains évoquent des personnages qui, comme celui de La quête d'Averroes, travaillent sur "la traduction d'une traduction".

L'écriture est un processus prolifique, citation de citations, emprunt au réel des biographes comme aux régions fantasques de l'imagination, et même capable de se déchiffrer sur un pelage de tigre comme dans L'écriture du dieu. Dans le message donné à travers cette écriture-labyrinthe, Borges se révèle un être fraternel, érudit et pessimiste envers la liberté humaine, mais secrètement animé par une foi ardente envers le va-tout que l'homme peut toujours tenter de jouer au dernier moment.

III. Biographie de l'auteur



L'écrivain argentin Jorge Luis Borges est né à Buenos Aires en 1899 et mort à Genève en 1986. Il passe une partie de sa jeunesse en Espagne où il s'engage dans un mouvement littéraire d'avant-garde, puis retourne à Buenos Aires en 1921.

Son style s'affirme dans les années trente, il publie de nombreux contes et nouvelles, des approches érudites originales : Histoire universelle de l'infamie, 1935 ; Histoire de l'éternité, 1936. Il excelle dans le genre fantastique avec des recueils de nouvelles comme L'Aleph, 1949 ; Le livre de sable, 1975. De 1955 à 1973, il est directeur de la Bibliothèque Nationale de Buenos Aires et quitte son poste lors du retour de Peron au pouvoir.

Devenu aveugle en 1955, il a toujours continué à travailler, aidé de son assistante Maria Kodama. Ses thématiques de prédilection (l'énigme, le labyrinthe, les paradoxes temporels, les savoirs complexes) sont nourries d'une grande érudition grâce à laquelle il mêle savamment la fiction et les éléments réels.
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Anonyme
Anonyme
Posté le 25 févr. 2014

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