Réécrire, est-ce chercher à dépasser son modèle ? 20.00 / 20

Ce document est une dissertation traitant du sujet de la réécriture. Il nous fait comprendre par des exemples précis que la réécriture peut être un dépassement de l'auteur original.

 

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Paul Valery avait cette phrase : « c’est en copiant que l’on invente ». L’invention, la création et par là, le dépassement relève toujours d’une préalable copie. L’écrivain est avant tout un lecteur, sans cela, il ne pourrait écrire, réécrire. De ce fait, les œuvres littéraires sont l’expression d’un continuel renouvellement qui est traversé par d’invariants problématiques, de styles qui s’entrechoquent, des modèles toujours à réinventer.

 

Aussi, réécrire, ce n’est pas reproduire une œuvre, c’est se ressaisir d’une trace de l’histoire littéraire pour la déployer, pour la remodeler, dans un travail d’identification et de différenciation continu. Dès lors, la réécriture est-elle nécessairement la recherche d’un dépassement ?

 

Quelle est la nature même de ce dernier ? Car dépasser peut autant signifier faire mieux qu’un modèle qu’aller au-delà. Nous aborderons ce problème à travers une première partie qui montrera que la réécriture est une condition à la production littéraire et qui donnera un aperçu de ses modalités.

 

Dans une seconde partie, nous apporterons des éclaircissements sur la nature du dépassement qu’ambitionne toute réécriture en montrant qu’il s’agit d’un déploiement, d’une ouverture.

 

I. De la réécriture à la création littéraire

 

Le corpus du sujet est composé de quatre extraits de fiction du XIXe et du XXe siècle. Ces différents textes s’entrecoupent par des relations de réécriture : la rencontre de Flaubert avec Élisa Schesinger et les écrits de jeunesse qu’elle inspira (Mémoires d’un fou) vont conduire l’écrivain à exploiter ses lignes dans la réécriture d’une autre rencontre, celle de Frédéric et de Mme Arnoux. L’auteur ici s’inspire de lui-même, qui n’en demeure pas moins un « autre » par la distance et l’écart de maturité qui séparent les deux textes.

 

Dans un autre registre, le texte d’Aragon extrait de Blanche ou l’Oubli nous donne à voir une transposition : une scène de l’Éducation sentimentale se retrouve emboîtée dans une scène en apparence semblable mais qui pourtant diffère : nous percevons bien ici le mouvement d’identification et de différenciation que suppose tout recours à un modèle en littérature. Par ailleurs, il faut noter que la référence à l’auteur source est assumée par l’auteur, à travers le narrateur-personnage d’Aragon et que les passages du texte transposés sont en italique.

 

Le recours à l’écriture d’un autre est aussi ancien que la pratique d’écriture elle-même. Aussi, avant d’aller plus en avant dans l’analyse de l’écriture il convient de reconnaître que toute littérature suppose toujours une réécriture. Partant, il faut constater qu’il existe différentes modalités, qui vont de l’inspiration très lointaine jusqu’au plagiat en bonne et due forme.

 

Nous présenterons ici de façon non exhaustive quelques modalités qui éclairent la réécriture dans sa relation au modèle et à son éventuel dépassement. Le plagiat est par exemple considéré comme un vol, puisqu’il s’agit souvent de piller l’auteur original, c’est une copie considérée comme fortement répréhensible. Ici il n’y a ni possibilité de faire mieux puisque le fait de reprendre tel quel un passage ne laisse pas penser, a priori, à un dépassement.

 

Alfred de Musset en fait usage lui-même, dans son On ne saurait penser à tout où il reprend au mot près des répliques de Carmontelle dans Le Distrait : « Holà ! Ho ! Quelqu’un ! Sur ce procédé pour le moins répréhensible, Qu’est-ce que veut monsieur le marquis ? Donne-moi ma robe de chambre et mes pantoufles».

 

Sur cette question, le regard de Stefan Sweig est intéressant, il expliquait comment Montaigne en venait à utiliser des passages de Cicéron ou de Sénèque ; reprenant une citation de Montaigne « Car je fais dire aux autres ce que je ne puis si bien dire, tantôt par faiblesse de mon langage, tantôt par faiblesse de mon sens. Je ne compte pas mes emprunts, je les pèse », Sweig soulevait que si Montaigne plagiaire omettait de donner les noms des auteurs, il avouait indirectement ses emprunts.

 

Mais le plus intéressant est que pour Sweig ces réécritures participaient d’un changement, d’un renouveau qui donnait naissance à quelque chose de pertinent. Autrement dit, même la reprise d’un passage sans modification relève d’un renouveau : c’est un peu l’idée que l’on retrouve au cœur d’une nouvelle de Borges où l’on comprend que le personnage de Pierre Ménard, malgré le plagiat de plusieurs chapitres de Don Quichotte, propose un autre texte, l’expression de l’œuvre originale devient une préciosité anachronique dans l’œuvre du plagiaire. Sur le recours au plagiat, et plus largement à l’imitation, Voltaire disait : « Presque tout est imitation. Le Boïardo a imité le Pulci, l’Arioste a imité le Boïardo. Les esprits les plus originaux empruntent les uns des autres ». La création littéraire devient ainsi un feu, qui une fois perdu, autorise à en prendre chez son voisin pour en faire usage chez soi : dès lors, il est déjà différent, c’est un tout autre feu.

 

Ces différents points annoncent de façon latente une seconde modalité de réécriture : le pastiche. Il peut être défini comme l’imitation la plus précise possible d’un auteur. Ce qui distingue fondamentalement le pastiche du plagiat c’est que le pasticheur s’avoue comme tel. Dans le plagiat, hormis le cas des transpositions assumées et référencées, il s’agit que cacher le texte d’origine : la source ne doit pas être retrouvée.

 

Dans le pastiche, Il est indispensable de communiquer l’auteur réel du texte que le faussaire vient de signer afin de faire apprécier son talent. Par ailleurs, ce travail de production d’un faux, un peu à la manière d’un peintre comme Van Meegeren, suppose toujours une certaine familiarité avec les textes qu’il s’agit d’imiter, et par là, un goût pour l’auteur, pour l’artiste : on pastiche presque toujours des auteurs qu’on apprécie. Il faut voir ainsi en cette réécriture une forme d’hommage au modèle.

 

Il s’agit moins d’un dépassement que d’une reconnaissance par le geste d’écriture lui-même. Le pasticheur pourtant crée dans cette réécriture, car pour faire reconnaître son art il ne retient souvent que les traits les plus apparents du texte original, il ne peut copier à la lettre, il produit un texte, une œuvre « à la manière de ». La Bruyère en fait usage dans Les Caractères, où l’on retrouve dans le chapitre De la société et de la conversation, un pastiche de Montaigne. Proust lui-même s’adonnera à l’écriture de pastiches de Balzac et de Flaubert entre autres, publiés dans Pastiches et Mélanges.

 

Enfin, l’une des nombreuses modalités que nous pourrions ici soulever est la parodie, qui est également une approximation, mais qui reste le plus souvent malveillante. Il ne s’agit pas simplement d’une imitation, mais d’une déformation caricaturale qui obéit à une ironie à une certaine dérision chez son auteur. Elle est ainsi irrévérencieuse et détachée du texte qu’elle reprend. La parodie vise souvent un texte qui agace, un style qui insupporte : elle est une réponse littéraire à un modèle, mais elle n’en est pas un dépassement au sens de faire mieux que le modèle initial, elle est une déconstruction sur le terrain littéraire du modèle, par un contre-modèle qui ne vise nul surpassement. Les exemples sont nombreux en littérature, Marivaux s’en prend à l’auteur de l’Illiade et de l’Odyssée dans L’Homère travesti ou l’Illiade en vers burlesques. Cami en fait de même avec son Petit chaperon vert dans L’homme à la tête d’épingle ».

 

Pour reprendre une largeur de vue, nous aurons compris que quelle que soit la modalité, le modèle est là, soit pour se l’approprier, soit pour lui rendre hommage, soit pour le parodier. De même l’exemple du texte 1 et 3 montre que la réécriture peut se faire par la réexploitation d’écrits de jeunesse, autrement dit, une démarche où l’auteur se réécrit lui-même. Ici, il s’agit souvent de reprendre des ébauches de jeunesse jugées suffisamment admirables pour être réintroduites dans une œuvre. Il peut aussi s’agir d’une réécriture de textes anciens de l’auteur pour leur donner un éclat nouveau, une finition différente. La réécriture interne ou externe est ainsi partie prenante de la démarche d’écriture.

 

Le modèle, entre dépassement et déploiement

 

Quelle que soit la modalité, le modèle est là : soit pour se l’approprier, soit pour lui rendre hommage, soit pour le parodier. Le modèle est donc bien plus qu’un retour à un hypotexte, un texte préliminaire en deçà du nouveau texte, il est toujours un dépassement, un déploiement. Il faut garder à l’esprit que jusqu’au Moyen Âge la copie est chose commune. La notion même de propriété intellectuelle n’apparaîtra que bien plus tard, à partir du XVIIe siècle.

 

À la renaissance, la réécriture est un procédé littéraire répandu et reconnu comme tel, la Pléiade y recourt en s’inspirant grandement des classiques, tout en innovant, puisqu’il s’agit à présent de valoriser la langue française. Jean de la Fontaine s’inspire d’Esope pour ses fables, Racine reprend à Euripide son Iphigénie. L’Antigone de Sophocle est un autre exemple éclatant, nombre d’auteurs s’essaient à sa réécriture, s’agissait-il de dépasser le texte premier ? À l’évidence, la réécriture n’est pas une amélioration d’un texte passé, d’autant plus si l’on juge des prétentions de Voltaire, son Œdipe n’a nullement effacé celui de Sophocle.

 

Il faut comprendre que l’écrivain réécrit toujours en un lieu et une époque qui diffèrent. La littérature est composée d’épreuves de la vie signées de différents noms, il est impossible de reproduire indéfiniment la « même » épreuve. La réécriture est plus qu’un dépassement, elle ne cherche pas à annuler l’œuvre qui la précède, au contraire, elle lui démontre une reconnaissance, assumée dans le pastiche, jalouse dans la parodie.

 

Il faut ainsi voir la réécriture comme un dépassement par un déploiement, en un sens souvent nouveau, ou réactualisé. Par exemple lorsqu’Aragon se réfère à l’Éducation sentimentale, il ne s’agit pas d’une simple transposition littéraire anodine, une sorte de clin d’œil à l’œuvre de Flaubert. En utilisant ce modèle à même le texte, Aragon réalise une mise à distance du personnage-narrateur qu’il « n’a pas reconduit Blanche à la porte, qui n’a pas soulevé le rideau de la fenêtre ». L’auteur joue ici par l’identification et la différenciation avec le modèle de Flaubert, c’est une scène ou se confond la dernière rencontre avec une scène déjà-vu, c’est un écho littéraire qui soulève ces invariants de la littérature, toujours sujets à réécriture : l’amour et sa mémoire.

 

C’est un écho non seulement de l’Éducation sentimentale, mais de l’amour qui achoppe et son difficile souvenir, présent dans tant d’œuvres. C’est une littérature qui se réécrit dans une conscience de sa propre histoire. Il ne s’agit pas de dépasser une œuvre mais de passer outre, d’aller au-delà en s’appuyant sur cette dernière.

 

Conclusion

 

La réécriture est constitutive de la littérature, pourtant, réécrire, ce n’est pas dépasser un auteur. Il s’agit d’un déploiement nouveau d’une œuvre originale qui correspond plus à un défi que l’écrivain se pose à lui-même. Le modèle n’est pas un seuil à dépasser, il est un horizon, un point de départ propre à l’histoire littéraire qui permet de donner une forme nouvelle, un sens renouvelé à une vérité qui s’exprime sous l’œuvre : une vérité qui n’est jamais absolue et qu’il convient de sans cesse de réinventer.

 

La réécriture est ainsi sous bien des aspects l’acceptation pour l’écrivain de son inscription dans l’histoire du champ humain que compose la littérature. L’inspiration qu’il y trouve est souvent l’expression de la dette symbolique qu’il souscrit, celle d’être un continuateur, inspiré par ses aînés.
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16 commentaires


Anonyme
Anonyme
Posté le 27 déc. 2016

Idée intéressante

Anonyme
Anonyme
Posté le 13 juin 2016

Merci 

Anonyme
Anonyme
Posté le 4 mai 2016

Super doc j'imagine mais je n'arrive pas à l'ouvrir...

Anonyme
Anonyme
Posté le 13 févr. 2016

merci

Anonyme
Anonyme
Posté le 29 janv. 2016

Très riche en contenu.

Anonyme
Anonyme
Posté le 29 janv. 2016

Un bon Document.

Anonyme
Anonyme
Posté le 19 janv. 2016

cool merci :)

Anonyme
Anonyme
Posté le 28 juin 2015

merci un très bonne document

Anonyme
Anonyme
Posté le 28 juin 2015

merci 

Anonyme
Anonyme
Posté le 24 mars 2015

un travail tres enrichissant, merci bcp

Anonyme
Anonyme
Posté le 1 mars 2015

c'est bien fait

Anonyme
Anonyme
Posté le 30 janv. 2015

j'aime bien lire mais vous me donnez aussi l'inspiration de me lancer dans l'écriture merci

Hassy
Hassy
Posté le 15 déc. 2014

Merci pour ce travail colossal. J'y trouve mon inspiration et matière à exploiter avec mes étudiants. 

Anonyme
Anonyme
Posté le 9 nov. 2014

merci  mon frere

Anonyme
Anonyme
Posté le 4 nov. 2014

un écrit intéressant

Anonyme
Anonyme
Posté le 20 nov. 2013

Honnêtement vos dissertations sont très bien faite donc merci !

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